Cette seconde tribune traite d’un sujet vraiment d’actualité… Nous vous laissons le découvrir et vous invitons à le commenter.
La personne dont l’état de santé psychique est dégradé en raison de son rapport au travail, éprouve souvent ce mal dans la solitude et, contrairement aux lieux communs et autres interprétations psychologisantes, nous pensons que les raisons de son mal ne résident pas dans son hypothétique fragilité
Fragile, terme régulièrement employé pour désigner ces personnes, schématisant le phénomène (le ramenant à l’antique opposition fort/faible) en le dénaturant.
Cette distinction, cette dialectique du fort et du faible ne tient pas. De nombreux arguments pourraient être opposés à cette allégation dont par exemple, les enseignements des cliniciens du travail comme Christophe DEJOURS ou Marie PEZE, qui nous apprennent que ceux qui sombrent ont été souvent les plus forts, les plus adaptables, les plus dévoués, les plus engagés dans leur travail.
Au départ on trouve dans son travail un formidable et puissant vecteur de construction identitaire…
… on se reconnaît dans les valeurs, les missions, les objectifs fixés et le collectif représente une communauté de personnes avec qui nous cultivons ce terreau commun. Le rapport subjectif au travail impulse un double mouvement, celui de la reconnaissance dans la communauté et celui de l’accroissement de la singularité, car notre activité nous permet d’entretenir un rapport d’exclusivité avec l’objet même de notre travail. Identification, ou édification de l’identité, cette capacité d’agir sur le monde par le travail, de le transformer conduit également à nous transformer.
Lorsqu’on investit le travail, on le fait psychiquement et également par « corps ». Lorsque l’objet même de cet investissement, sa substance, son essence se retire, qu’il ne prend plus corps, il y a désorganisation.
Les investissements sont « ballants » sans contenant, sans point d’achoppement. Le capital s’effondrant, c’est l’économie psychique qui s’écroule.
Allons plus loin et avançons que celles et ceux dont on dit : »ils ont lâché », « ils ont cédé » n’ont justement pas renoncé; pas renoncé à ce qui fait sens, ce qui fait résonance au quotidien et qui édifie ce qui est notre vie, le travail vivant (Christophe DEJOURS).
Les travaux de Georges CANGUILHEM par exemple, portant sur le « normal et le pathologique », questionnent notamment l’influence de la norme et de la culture dans la définition du pathologique. Alors qui est malade, qui ne l’est pas? Quand entre-t-on dans la maladie ?
Dans son rapport au monde, chacun a développé ses propres mécanismes de défense pour se défendre de se qui peut nuire à l’équilibre psychique.
Que dire de ceux qui ne laissent rien paraître, ceux pour qui le mal s’exprime dans l’invisibilité, ceux qui tiennent socialement, qui tiennent la vitrine de leur vie à bout de bras ? Certains évolueraient à côté de celui ou celles qu’ils ont été, à distance de ce qu’ils souhaiteraient intimement être.
Organisation du travail pathogène
Formuler l’hypothèse du renoncement, de l’aveuglement pourraient être une piste pour expliquer la capacité de celles et ceux qui tiennent, malgré le chaos généré par l’organisation du travail pathogène, là où ceux qui tombent malades résistent, à leur manière, en ne renonçant pas à leurs valeurs, leur éthique leur culture de métier…leur identité.
Pour en sortir, pour penser les solutions qui permettent de lutter contre l’aliénation et pour comprendre les raisons de l’apparition de la maladie, il s’agit de faire parler ce qui se tait dans la subjectivité du sujet.
C’est lorsque le travailleur ne peut plus, ni créer à partir de sa souffrance, ni parvenir à l’oublier ou à s’en distraire grâce à des défenses, que celle-ci devient pathogène.
La souffrance désigne ainsi des états qui font partie de la normalité, au point que l’on puisse parler de «normalité souffrante» (Dejours, Molinier, 1994).
La subversion et la mise en mots sont fondamentales. L’agir communicationnel (Habermas) est la voie royale vers l’élaboration constructrice de sens pour le sujet.
Par conséquent, pour renverser la situation afin de lui redonner du sens, la création d’un espace collectif de délibération, de coopération, de réflexion sur le lieu de travail peut être un outil facilitant la formulation de problématiques et le cas échéant de pistes de solution.
L’accent est porté sur la capacité à donner un sens à la situation, à se défendre de la souffrance et à conjurer la maladie en mobilisant les ressources individuelles de l’intelligence et de la personnalité, mais aussi celles de la coopération et du collectif.
Zoubir SELLAOUI : Consultation de Santé au travail. Toulon.
http://www.scoop.it/t/sante-au-travail-by-pierreyves-monteleon